samedi 31 décembre 2011

Petit petit petit...



On est responsable de la tête qu'on tire, je sais...

N'empêche qu'il me coûtera particulièrement ce soir de garder le sourire car voyez-vous, il faut que vous compreniez : il y a des enfants chez moi.
Plusieurs, oui, c'est encore plus grave.

Ce ne sont pas les petits inconnus à qui on peut lancer un regard noir quand leurs parents ont le dos tourné, et qui comprennent instantanément que l'air est plus pur ailleurs.

Non, je les connais, ils me connaissent, et je connais leurs parents. Impossible donc de les fusiller visuellement à la première paume collante écrasée sur Mes vitres, ou aux premières chutes de miettes chocolatées sur Mon canapé. Ils iraient se plaindre du maître des lieux et je ne vais pas remettre en jeu une amitié à laquelle je tiens malgré leur menton gras et frondeur.

Ce soir, alors que les petits nains mangeront leurs crottes de nez entre deux cacahuètes piquées dans le bol commun, qu'ils mastiqueront leurs pâtes au fromage la bouche ouverte et roteront bruyamment leur limonade, j'essaierai de prendre un air amusé et complice, ce qui donne à peu près ça.


Déjà, en partant faire les courses qui s'imposent avant le grand festin, j'avais failli faire pleurer la plus grande en lui proposant de lui acheter un nouveau doigt plus gros pour son activité d'excavation décidément très habituelle. Alors je sens bien qu'en ce dernier jour de l'année, mon humour n'est pas au top. Mieux vaut faire sourcil et profil bas.

Enfin, heureusement, j'ai prévu de l'alcool pour mes invités, avec des quantités suffisantes pour une abondante consommation personnelle. J'ai besoin de réduire mon champs de vision, sinon je ne vois plus que des légumes écrasés sous mes chaises et mon chat traumatisé.

Histoire de garder un petit sourire mystérieux, comme la Joconde, malgré ma folle envie de faire une bonne chasse au lutin.

jeudi 29 décembre 2011

Avec un F, comme Fouquet's





Avant, je l'aimais bien.

J'adorais le retourner sans ménagement, lui tapoter le derrière, et hop, le laisser glisser hors de son petit costume, tout à son aise, dans son jus.

Je le regardais dégouliner de promesses en me disant que la prochaine fois, pour changer, je me laisserais bien aller à tout gober, les yeux au ciel de plaisir, sans trop réfléchir aux conséquences.

Je me souviens, il existait même des concours à qui parviendrait à en gober le plus, c'était son destin à ce petit.
Même si le gagnant terminait avec la nausée. C'est que trop c'est trop, même avec ce qui est fabriqué pour être doux à avaler.

J'ai beaucoup aimé cette indulgence à s'offrir après une journée d'école, en pensant à la tendresse de la vie tout en rabotant doucement ses formes arrondies à la petite cuillère. Jusqu'à obtenir une vilaine forme étriquée qui se laisse choir sans grâce dans un lit sirupeux. Une forme de chute qui sentait la fin.

Maintenant, je ne l'aime plus trop.

Je n'aime pas du tout les produits pour riches qui s'adressent aux pauvres, question d'honnêteté au niveau du marketing.

Et de surcroît, je n'aime pas les riches qui n'aiment pas les riches, j'en conviens.

Comme ce flan parfumé et lisse qui se prend pour un yaourt nature, bourgeois aux manières délicates dans un costume de pauvre. En plastique, alors qu'il lui faudrait du cristal.


Reste cependant une languette en argent qui dépasse, on ne se refait pas.

mercredi 28 décembre 2011

Et bonnes fêtes surtout

Jusqu'ici, tout va bien.
On en est à la moitié, on tient le bon bout.
En plus, il fait soleil. Les rennes sont au pré.

La première étape est passée, celle du sapin qui sent la résine et la neige artificielle en vapo, celle des plats en chapelet qui entraînent la balance dans un chiffrage électronique des dégâts vertigineux, celle des sentiments mêlés d'attendrissement et de tristesse. Noël, étape 1.

Noël et ses ritournelles qui ne font rien qu'à tintinnabuler dans les ruelles. Noêl et ses gros Père Noël qui sentiraient presque la vinasse. Noël est ses petits nez aux morves torves, qui attendent leur livraison en reniflant dans leur capuche.

L'injonction du regroupement familial s'éloigne pour rejoindre celle du regroupement social, avec force paillettes et champagne. Nouvel an, étape 2. On mange, on boit, on sympathise.

On tient le bon bout, vous dis-je.
Plus que quelques achats de produits cintrés dans leurs habits de fête, doré pour le foie gras, argenté pour les chocolats, rose laqué pour le Brut Rosé, et on y sera presque.

Comme tout le monde, on aura mangé comme quatre, et déprimé pour deux en cachette, entre trois cadeaux à acheter, et dix gorgées de bulles à siffler.
En se demandant pourquoi, par ces temps de fête, il est pourtant difficile d'avoir envie de la faire.

Heureusement, arrive le dernier soir de cette dernière semaine du millésime.
Là, on se dit que pour de bon, demain sera une autre année, toute neuve.

Ouf, il était temps d'attaquer un nouveau cahier.

mardi 27 décembre 2011

My Little Angel



Nul n'est parfait : je suis tombé sur un numéro de Maxi, spécial Noël avec des idées cadeaux pour les petits et les grands. C'est comme Voici ou Gala, des magazines qu'on ne lit que chez les autres, bien-sûr.

J'ai tout lu, avide de connaissances extravagantes.
Le courrier des lecteurs, toutes ces conneries.
L'horoscope, la numérologie, tout tout tout.

Et puis une page publicitaire a attiré mon attention: on y voyait un nouveau né en plein sommeil, la couche à l'air, les pieds plissés et les yeux clos gonflés. A vue d'oeil, deux petites semaines au compteur, pas plus. Un tout petit bébé au doux nom de MyLittleAngel.

Qu'il est mignon le petit!

Sauf que le petit est à vendre et que c'est une poupée pour adulte.
Payable en 10 fois sans frais, d'ailleurs.
Dans les 129 euros si mes souvenirs sont bons.


Oh, pas si cher que ça finalement, pour un bébé qui ne coûte pas beaucoup en petits pots et aura toujours des grenouillères à sa taille.
En plus il n'a qu'une seule couche, en vrai tissu attention, qui restera éternellement propre, c'est écologique. Coup de chance, les deux pubs ne se sont pas parlées.
Oui, car dans le même numéro de Maxi, il était aussi question (véridique) d'un chien en plastique dont la vocation était de produire une amusante quantité de crottes, ouf.


Plus vrai que nature donc, le bébé a également de vrais cheveux (les cheveux de quelqu'un d'autre, errk) implantés soigneusement à la main, tout comme ses ongles, fignolés avec amour.
Bien entendu, sa peau est douce, en vinyl Real Touch™, une assurance supplémentaire qu'il ne fera pas un vilain eczéma ou une éruption de boutons de rougeole.

Comble du mignon, il respire.
Ce mouvement réaliste absolument craquant brisera bien des coeurs chez les mamans adoptives (ou les papas, il y a de la misère aussi chez les hommes) avec sa toute petite respiration, car tout l'intérêt de ce faux être humain est là : il semble vivant et comme le dit la pub, on peut s'en assurer en posant la main sur sa petite poitrine.

On peut même lui faire un Tshirt avec son prénom et sa date de naissance. Psychologiquement, sans être expert, je sens qu'on tient du lourd.

Brr, ça fait froid dans le dos.


En parlant de froid...J'ai beau eu lire tout le descriptif, bon de commande compris : impossible de le savoir.

Ben oui, l'histoire ne dit pas si, quand on s'en lasse, on peut stocker son bébé au congélateur comme les vrais.

lundi 21 novembre 2011

Mauvaise fraise



S'il y a bien un moment difficile à vivre dans sa vie intime, c'est celui du départ à la retraite de son dentiste.

Egoïste. Seulement 40 ans à travailler et pffuit, plus de nouvelles.
Incompréhensible.

Le mien était pourtant parfait : moustache roulée main, façon Roquefort Société, doigts qui sentent délicatement le savon, eau de toilette discrète à peine herbacée qui se fait oublier même en s'acharnant sur une dent de sagesse qui s'accroche, et, comble de la perfection pour un dentiste, haleine fraiche même en parlant de très près.
Parfait vous dis-je.
Le monde tournait rond.

Et puis un jour, il est parti à la retraite.
Il m'a confié que "les dents, il en avait jusque là", c'est à dire jusqu'au dessus du front, ce qui est peu banal.
Il les avait bien cachées, on ne voyait rien. Mais c'est un métier.

Il a voulu me présenter un jeune dentiste, son repreneur qui rachetait le fonds avec ses clients dedans. Donc moi, potentiel de molaires à rafistoler moyennant des honoraires libres. Très libres.
Endetté sur 30 ans, je l'imaginais déjà créer un concept de carte de fidélité, et me préparer des petits trous sournoisement à chaque rendez-vous pour assurer les lendemains, quand les bactéries auraient fait leur travail.

Bref. Mon dentiste est donc parti à la retraite et moi, à la recherche de son remplaçant.
A changer, autant prendre un plus jeune certes, mais pas débutant non plus.
Un qui assurera le lustre de ma dentition pendant 20 ans, ce qui n'est déjà pas si mal.

Alors aujourd'hui, sur le conseil d'une amie, j'ai donc fait la connaissance de mon nouveau dentiste.

Je m'étais bien renseigné, je n'aime vraiment pas changer de garage, alors il fallait tomber directement sur le bon sans passer par les maladroits, les tortionnaires ou les vendeurs d'élite.
Surtout, ne pas se tromper donc.
Oui, il avait une bonne main, non, il ne faisait pas mal, oui, il racontait des blagues quand on ne peut pas rire (à part avec les yeux), ce dernier point faisant d'ailleurs la marque d'un vrai dentiste formé à l'ancienne.
Et oui, oui, oui, il avait déjà une clientèle et n'allait donc pas me refaire un piano tout neuf sans les bémols en bricolant des devis bidons avec ma mutuelle.

Ô bonheur, une fois sur son siège design qui rappelait ceux du TGV redécoré par Christian Lacroix, la lumière aveuglante en plein visage, je n'eus que cet aveu à faire :  il avait lui aussi les doigts qui sentaient délicatement le savon, et l'haleine fraîche, même de très très près.
A la fin, il m'a offert du fil dentaire à la menthe, même.
Parfait lui aussi.
Parfait.

Enfin, presque.
J'avais oublié de poser la bonne question à cette amie qui m'a poussé chez lui.
Car tout est de sa faute à elle bien sûr.
 

Oui.

Il part bientôt à la retraite.

vendredi 21 octobre 2011

Hors saison




Dès que les touristes s'en vont, les lieux changent.

La plage se retrouve face à elle-même,  le sable est frais, l'air est plus sec. C'est la solitude qui reprend une majuscule, dans les reflets argentés de la mer qui se confond avec le ciel gris pastel.

On réfléchit beaucoup plus sur une plage hors saison qu'en plein mois de juillet. La faute aux températures fléchissantes qui retendent les tissus et les idées. On sent le sable crisser plus fort sous les pas et les petons s'enrhumer plus vite.

J'aime le hors saison parce qu'il est à la fois grave et décontracté.
Sans personne autour, la présence de la mer se fait plus familière, et les nuages menacent de crever sur nous seuls comme une bombe à eau naturelle.
Les mouettes rigolent de leur rire bête. Les enfants aussi quand il y en a.
C'est calme, et c'est tout simple.

Je regarde mes pas s'enfoncer tendrement entre deux algues échouées, la tête pleine de pensées sur la vie en général, et sur la mienne en particulier.

Le hors saison, c'est mieux.
Les grands espaces appellent les petites joies.

Comme d'habituuude...



Son évidence m'a sauté au visage tout à l'heure.

Je venais de faire les courses de ma semaine, ou plutôt de mon week-end, comme d'habitude.

Mais je ne sais pas si c'est l'air presque piquant de l'hiver qui avance, sournois, avec ses évocations de Noël et d'arbres moribonds, ou juste la lassitude d'avoir patienté dans le tintement des caisses du supermarché... j'ai ressenti d'un coup la violence d'une vérité larvée, à laquelle on ne prête plus attention tellement elle danse chaque jour sous nos yeux.

Elle est pourtant évidente, cette vérité. C'est la routine.
Celle d'une petite vie qui gravite comme un satellite autour de la planète courses, chaque révolution se produisant tous les 4 ou cinq jours environ.

C'est vrai, avec mes sacs, mon lait écrémé et mes oranges dedans, sans oublier les croquettes puantes de mon chat, j'ai eu l'impression d'avoir vécu ce moment mille fois.

Les feuilles mortes encore vertes collaient sous mes chaussures, c'est à peu près ce qui a changé dans cette scène qui se répète, alors que les années et les marques de yaourt passent.

C'est cela, la routine. Un petit bourdonnement intérieur qui dit que même si on en a rêvé, tous les jours ne peuvent pas être extraordinaires.

Comme ce jour-ci, qui ressemble à tant d'autres : les sacs m'ont scié les doigts.

mercredi 5 octobre 2011

La Citroën



Jusqu'à ce qu'un vendeur de BMW m'en fasse la remarque, cela m'avait échappé.
Disons que je n'avais pas fait le rapprochement, la synthèse, le raccourci.

Et puis cela m'a paru la chose la plus évidente du monde, c'est vrai qu'Ils ne sont pas comme nous.

Ils, ce sont les propriétaires d'un véhicule Citröen.

Pas d'un C5, sympathique camionnette qui justement a toute sa place dans le domaine du moche utilitaire, oh non.

Mais ceux d'une voiture normale, enfin, qui voudrait y ressembler, alors qu'il y a tant d'autres marques possibles pour rouler dans une vraie voiture qui n'a pas l'air greffée de partout après un accident.

J'ai souvent pensé que c'était déjà un rapport étrange à l'estime de soi que de préférer s'offrir du moche au prix du beau. Du poussif au tarif du fend-la-bise. De la pâle copie pour le même montant que l'original.

Partir tout guilleret s'offrir une AX, une Saxo, ou une C6, alors qu'on peut trouver l'équivalent en réussi chez Peugeot, ou Audi si on s'oriente vers les grandes routières, cela laisse une large interprétation à la psychanalyse.

Mais comme deux âmes soeurs qui se rejoignent un jour , dans les lueurs jaunasses d'une concession automobile qui fleure bon la graisse de moteur, le conducteur de Citroën rencontre son prolongement physique et chimique dans cette mécanique imparfaite qui insulte tous les jours le design.

Etrange alchimie.
Une fois refermée sur lui la portière en plastique de poubelle, du polypropylène très exactement, il devient un autre homme, encastré dans sa deuxième peau de métal bariolé (la marque aime bien célébrer les oubliées du Pantonier).

Dans son engin, c'est la transmutation façon Goldorak : il fait corps avec lui et redevient la machine qui a raté le code deux fois, renversé sa voisine en conduite accompagnée, et fait pleurer sa mère -de crainte-quand il a enfin obtenu son permis.

L'histoire d'amour entre le conducteur de Citroën et sa caisse de savon éponyme s'écrit alors ainsi, d'incidents en accidents, pour leur plus grand bonheur, distillant frayeurs sur l'autoroute et envies de meurtre lors des opérations escargot.
Ensemble, le duo sera toujours où on ne l'attend pas, cultivant la surprise du freinage inutile, la spécialité du déboitement sans clignotant, et l'expertise des manoeuvres interminables pour les créneaux.

Une fois le bip bip de la voiture encore écumante- ou somnolente c'est selon- derrière lui, le conducteur de Citroën redevient pourtant un être humain comme les autres.
Vous en connaissez peut être, sans le savoir. Si si. Cela fait tout bizarre, on ne le voit plus pareil.

Oui, au volant, le conducteur de Citroën est "un spécimen".

Spécimen. Être ou objet qui donne une idée de l'espèce, de la catégorie dont il fait partie, dit le dictionnaire. C'est le mot très juste, utilisé par ce vendeur de BMW qui m'a ouvert les yeux, alors que j'essayais une série 3 en sa compagnie.
 
Le véhicule devant nous, griffé de ses deux guillemets posés à la verticale comme une cloche sur la misère, lambinait sur le périphérique. En mouvements erratiques, comme touché par la maladie de Creutzfeld Jacob.

Spécimen. Citroën.
Oui, ça rime presque.

Aide toi, et le ciel t'aidera


C'est l'une de mes citations préférées.

Pour moi, loin de décrédibiliser la religion, elle en vante au contraire l'une de ses vertus. Savoir demander des choses à la vie, grâce aux moments de prière qui font partie de la pratique.

On prie plus que tout lorsqu'on a besoin, il n'y a qu'à comparer la ferveur des pays riches et celle des pays pauvres, non?


J'ai donc souvent pensé que la prière avait un rôle majeur dans la fixation de nos petits objectifs personnels, pour le long terme mais aussi pour le quotidien.

S'agenouiller ou s'asseoir, croiser ses doigts, baisser la tête étaient faits pour créer une posture de concentration sur ce que nous souhaitons profondément.
Ainsi en position, c'est le bon moment pour dire "J'aimerais vraiment devenir riche".

C'est une façon très efficace d'aller chercher au fond de soi ses désirs, pour les lancer via la plate forme intime de la prière : celle du souhait exprimé, du projet bien formalisé en mots.

En demandant quelque chose à plus grand que soi, nous nous alignons comme une petite armée derrière un seul objectif, pour vraiment essayer de le réaliser. C'est la première pierre de l'édifice, la création d'un nouveau tiroir à remplir dans notre vie (de lingots, par exemple).

Lorsqu'on n'est pas croyant, ce rituel de programmation peut hélas disparaître avec l'ensemble de la pratique abandonnée, puisqu'on ne voit plus trop le sens.
Cela nous paraît ridicule de prier sans croire en dieu, alors qu'il faudrait garder cette habitude de demander.  A soi-même, au lendemain, à ce qu'on veut, oui oui parfaitement.

Certains poids lourds du management et des techniques d'auto-motivation comme Dale Carnegie, chrétien de son état, se sont inspirés des pratiques religieuses pour construire des méthodes de réussite personnelle "laïques-compatibles". Et c'est là que la formulation de ses objectifs à voix haute (même murmurée) revient encore.

Mais il vaut mieux essayer d'être seul et concentré, attention. Car chuchoter dans le bus "Il faut vraiment que tu gagnes des sous maintenant" peut nous attirer des ennuis, surtout si le gaillard d'à côté est au chômage et parano.

Bref. Être bien préparé soi-même à obtenir ce que l'on recherche, avoir pris le temps de formuler cela comme un pacte important, c'est avoir créé le contexte idéal pour la chance, c'est se tenir prêt pour utiliser le vent qui nous mène dans la bonne direction.


La chance se prépare, j'en suis persuadé.
D'ailleurs même Donald Trump le dit, alors.

Aide toi, le ciel t'aidera.


mardi 4 octobre 2011

Les Orientalistes



Le mois d'Octobre ouvre la saison du marché de l'art, et notamment des ventes aux enchères.

Si vous n'avez jamais assisté à une vente, je n'aurais qu'une chose à vous dire : allez-y!

D'abord, c'est gratuit, alors qu'on y voit aussi passer des oeuvres majeures, invisibles ailleurs et pour cause : elles quittent le salon d'un collectionneur pour en retrouver un autre, sans êtres visibles par le public. Sauf durant ces quelques jours d'exposition avant la vente.
Adieu la case musée, qui n'a pas les moyens de tout acheter, surtout si l'oeuvre est rare...


Ensuite, on y trouve des choses auxquelles on ne pensait pas être sensible.
Des dessins anciens, des esquisses de Degas, des lettres manuscrites de Baudelaire.
Mais aussi de petites statues africaines naines Baoule, qui vont toujours par couple, et qui vous regardent du coin de l'oeil quelque soit leur angle, si si (surtout la femme au seins nus).

On tombe nez à nez avec un meuble 18e qui finalement n'irait pas si mal avec du contemporain, on se pâme devant une statuette de Rodin, on s'émeut devant un tout petit cadre de Manet, on trouve que le Soulages a son charme, et on se laisserait bien tenter au final par un broc ou un vieux chandelier, presque accessibles, en comparaison avec les prix pharamineux du reste.

Moi, j'avais une petite dent contre les orientalistes. C'étaient un peu les premiers touristes au Maroc, mais sans appareil photo.
Je n'aime pas tellement cette approche hautaine de l'occidental au chapeau blanc qui va tirer le portrait d'une femme sans lui demander son avis, dans la brutalité du conquérant qui a trouvé son objet, le tout face à des cultures où la sphère de la femme est jalousement protégée.

Mes griefs ont fondu sous la lumière de ces peintures. J'ai totalement basculé dans cet univers de soleil écrasant, dans ces fondus de couleurs intenses et chaudes, et dans cet esthétisme où la grâce domine.

Majorelle par exemple a peint des merveilles. J'en achèterais bien un pour chez moi.
Les médinas se transforment en mirage, formes évaporées dans la chaleur et le ciel. Les femmes deviennent des déesses drapées dans leur mystère, avec une sensualité à fleur de pinceau et une personnalité laissée intacte touche après touche sur la toile.

Les scènes ainsi rapportées, ou inventées, sont une ôde aux pays de soleil et de parfums capiteux. Une véritable déclaration d'amour à des terres étrangères mais embrassées, captées, absorbées, désirées par chaque artiste qui leur rend un hommage émouvant et magnifique.


Voilà pourquoi il faut aller voir les oeuvres exposées, souvent sans façon, dans les antichambres des salles de ventes.

Vous risquez la rencontre et le coup de foudre. Et le souvenir éternel de ces moments de contemplation, avant le déchirant moment de l'adjudication...à quelqu'un d'autre.

lundi 3 octobre 2011

Juste encore un peu


Tout cela laisse à penser que nous sommes sadiques avec nous-mêmes, ou au moins masochistes.

Je m'explique : je ne peux pas résister au plaisir de m'infliger la torture des infos, et ce, tous les jours. Je suis addict.

Hop, une bonne petite claque le matin, quand on parle de la dette et du chômage qui galope.
Hop, une petite couche dans la matinée, encore une bijouterie cambriolée qui a fait un mort (moi je pense à la petite histoire autour de la victime, tragique, celle qui consiste à mourir en achetant une bague de fiancailles).

En début d'après midi, c'est la bourse de Paris qui stagne, à bout de souffle.
A 17h, c'est la pitchenette fatale de Wall Street qui la fera sérieusement basculer. Les photos de traders catastrophés datant de 2008 refont leur apparition dans l'iconographie.


Le soir, le rictus de Pujadas, l'homme qui aime annoncer des mauvaises nouvelles avec le sourire de la Joconde, finira de m'achever. On recracherait sa bouchée du dîner tellement il nous fait culpabiliser. On se ressert quand même, pour oublier.


Après mon shoot du 20h, impossible ceci dit de ne pas y revenir.
J'en prendrai juste encore un peu avant de m'endormir, un typhon menace, la pauvreté augmente, il faudra payer la sécu pour son cancer, et il y aurait des valises qui circulent entre les états avec de l'argent frais dedans.
Qu'est ce que c'est bon! Allez, encore une, pour la route.


Le plus malsain de tout cela, c'est mon attitude.
Cette prise régulière de ma dose d'actualité de mauvaise qualité pour tenir toute la journée. Cette irrépressible envie de replonger la tête la première dans ces eaux qui sentent la vase.
Un peu comme la mauvaise odeur qu'on va humer plusieurs fois en prenant l'air dégoûté.


Je pense à ceux qui en ce moment, arrosent leurs salades et regardent mûrir leurs prunes.
Ils ne sont pas toujours au courant des dernières nouvelles, mais à midi ils mangeront une bonne batavia avec une tarte maison. Sans se préoccuper de savoir si c'est cancérigène, ou bientôt interdit, ou bientôt dévasté par les roms.

Finalement, nous devrions cultiver un peu plus notre jardin.
Et dire stop à la drogue dealée par certains médias.
Celle où les dépêches se sniffent comme un grand titre.







dimanche 2 octobre 2011

Le dimanche soir


Le dimanche soir, on a tous écrit dessus.

Parce ce que c'est forcément un sas entre deux semaines et que les sas, on n'aime pas trop ça, c'est anxiogène.

Le dimanche soir est comme cette trêve au sec sous un porche alors qu'il pleut comme vache qui pleure tout autour : un temps en suspend, qui va reprendre son vol et nous en coller plein la poire, avec des rafales d'eau assurées dès qu'on se décidera à sortir des abris.

Je goûte donc à cette retraite aux heures comptées, entre deux barrettes de 7 jours qui amènent leur lot de surprises, et leurs dangers et enquiquinements comme dit si bien le Routard.

C'est calme, c'est très calme, c'est trop calme.

C'est sûr, Lundi sera une vraie tempête, en comparaison avec ces instants qui serpentent lascivement d'une petite chose à l'autre.

En attendant, c'était bien ce dimanche soir.
Le dimanche a la faculté unique d'étirer la journée sur la fin.
Comme une guimauve qui sent bon la vanille, et les petits plaisirs.

vendredi 30 septembre 2011

La petite fable du radin



On m'a raconté une histoire incroyable : l'histoire de l'avarice résumée en une petite fable contemporaine.


Il était donc un petit couple qui ne roulait pas sur l'or, qui a pris de l'âge comme tout le monde.

Lui ne payait pas de mine, avec sa voiture à bout de souffle, son canapé élimé pour regarder ses infos devant sa télé hors d'âge.

Elle ne payait pas de mine non plus, avec ses vêtements qui n'étaient plus démodés tellement ils étaient vintage, son ascétisme presque dérangeant, et ses objets de toujours parce qu'elle ne jetait rien.

Il paraît qu'ils disaient toujours qu'ils auraient bien aimé partir en vacances loin, très loin, mais c'était trop cher.
En réalité, tout était trop cher pour eux : un bon restaurant, un petit film au cinéma, ou même juste une jolie robe. Trop cher, toujours.


Ils sont morts un jour, comme ils ont vécu: dans la misère maîtrisée, ni trop, ni trop peu.
Pas de quoi rêver en triant leurs affaires, ah ça, non.

Sauf que...
Intriguée par le décalage entre leurs revenus de toute une vie et l'état désolant de leurs modestes possessions, leur héritière, qui d'ailleurs n'avait pas hérité de grand chose, a eu des doutes.

Un matin, elle est partie caresser l'herbe de leur jardin pelé avec un détecteur de métaux, comme ça, juste pour en avoir le coeur net.

Cela a sonné très fort. Il n'a pas fallu creuser longtemps. Elle dit que quand elle a ouvert dernier le sac plastique et trouvé les lingots, petits et serrés, dorés et rayonnants, elle a senti leur lumière réchauffer son visage, exactement comme en plein soleil.
Elle dit qu'elle n'a pas pensé tout de suite à leur valeur, happée par la beauté de cette apparition, comme un génie sort d'une lampe.

Elle n'a pensé qu'à une chose : c'est vrai ce qu'ont voit dans les films de pirates, l'or pur a une luminosité presque magique qui crée un véritable halo surréaliste.


L'histoire ne dit pas si elle les a replantés dans son jardin à elle, ses lingots d'or, en taisant leur lieu de sommeil comme les autres disparus.

Mais c'est une vraie histoire.
L'histoire d'avares -des vrais-qui sont partis, et de lingots -des vrais aussi-qui sont restés.

mercredi 28 septembre 2011

Plein les bottes


Je me suis toujours dit que je retournerai un jour à la pêche.

Comme avant, quand j'étais tout petit, et que je passais plus de temps dans l'eau qu'au bord pour décrocher mes fils emmêlés.

Il faut dire que les pierres glissaient, qu'il y avait du courant (mes 15 kg pouvaient être emportés, c'est vous dire) et que surtout je portais des bottes en caoutchouc traîtres de la semelle, quand elles n'étaient pas trouées, en plus.

Rituel bien ordinaire, finalement : lancer de ligne, accrochage dans les branches, appels à l'aide, décrochage, relancer de ligne, nouvel accrochage ... et puis le mouvement fatal, la tentative bête de s'en sortir tout seul pour décrocher l'hameçon pris dans les roseaux tous proches.

Un pied, deux pieds, et la situation bascule, c'est plus profond que prévu, ma botte rouge est remplie d'eau comme une choppe allemande. C'est la panique et c'est glacial, en plus, cette eau de rivière à mi-saison.


Ouf, sauvetage réussi.



Après...c'est la honte et puis, il fait froid aux pieds. Je me fais engueuler. Je me justifie, on ne voyait pas que c'était profond.


Mais c'est bien, la pêche. On fait la pause pique-nique avec la goutte au nez, ça sent un peu le poisson et la terre moussue, l'eau en en perpétuel mouvement fait des gazouillis et tout cela nous donne bon appétit. On parle des araignées d'eau, des poissons qu'on a pris, des couleurs qu'ils ont selon les saisons.


Allez, au moment d'y revenir, à ma pêche, j'en suis dispensé, la chaussette n'est pas sèche, et il ne faudrait pas attraper un rhume.

Alors je reste spectateur, je regarde sans regarder dans une attente paisible, bien calé contre la portière de la voiture ouverte. Heureux de retrouver le moelleux d'un siège, les jambes ballantes sous le plaid bien chaud.

Un jour j'y retournerai, mais je ne sais pas si j'ai raison.

C'est peut -être pour cela que j'en parle encore, sans passer à l'action.

On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, disait un philosophe grec. On n'y enfonce jamais deux fois sa botte rouge non plus.

lundi 26 septembre 2011

Les premiers marrons



Je ne sais pas pourquoi mais moi, l'apparition des premiers marrons me fout le blues.
Par terre ou encore dans leur bogue, hein, ça compte pareil. Ils sont là.

Blues total, oui.
Gorge serrée, sentiment de désespoir qui sourd sous le menton. La déprime qui chausse ses bottes de sept lieux pour dévorer tous les bienfaits de l'été.
La chute de cheveux de l'automne annoncée.
La glissade mentale sur une feuille morte imaginaire, bien pourrie.

Voilà, c'est l'automne, les marrons sont au chaud dans leur étui punk mais pas pour longtemps.

Bientôt, les petits collégiens fourbes les transformeront en projectiles à la récré, avec pour cible les plus pacifiques d'entre eux, dans un bruit sec et mat, poc.
Et ils pousseront des rires stridents en ruminant nerveusement leur gros chewing-gum à la fraise.

Ca rappelle le temps de l'école, des bottes et des manteaux qu'on remet.

Brrr... Il fait frisquet, là, ou c'est moi?
Ca doit être moi.

mardi 16 août 2011

Le coeur des Hommes

Serre les dents, Mémé.

Eh oui je sais, tu souffres, mais tu sais la vie c'est sacré.
Cela fait bien plusieurs mois que tu demandes à Dieu de venir te chercher, parce que tu es croyante et pas rancunière. Mais Dieu à mieux à faire.

Et nous, on respecte la loi tu comprends, enfin, le médecin qui a peur de se faire dénoncer s'il accède à ta demande d'abréger tes souffrances.

Tu comprends, Mémé, si on te donne trop de morphine, il pourrait y avoir une enquête, des rumeurs et puis peut-être bien un procès. Bien sûr que tu as mal, mais veux tu vraiment envoyer quelqu'un en prison?

Autour de toi, tout le monde est convaincu que la messe est dite, et que le plus tôt serait le mieux pour le grand départ. Comme toi.
Tu te demandes à quoi ça sert que l'on te cherche les veines pour la centième fois, pour t'injecter je ne sais quoi encore qui te prolongera quelques jours, quelques semaines. Cela ne rime à rien, je sais.

Tu me parlais souvent de ton chien que tu aimais tant, et qui est tombé malade à force d'être vieux. Il faisait les cent pas au pied de ton lit, tourmenté par ses souffrances, cela te faisait tellement mal au coeur de le voir tourner en rond, dépassé par la maladie qui le rongeait, abattu et triste, hanté par des douleurs qui n'en finissaient pas.

Tu l'aimais comme un humain comme tu dis, et tu l'as amené chez le vétérinaire en prélevant de quoi payer la note sur ta petite retraite.
Comme pour ses croquettes qui coutaient cher mais qui rendaient ce chien si gai quand il les saisissait au vol en ouvrant un grand bec, avec toi qui faisais semblant de ne pas les lui donner jusqu'au dernier moment.
Ces moments tous simples t'ont bien fait rire, du rire sincère de ceux qui sont dans leurs vieux jours et profitent de la moindre joie.

Quand le vétérinaire a déclaré que le chien était condamné, tu as d'abord demandé comment le guérir. Tu voulais le garder près de toi le plus longtemps possible, après tous ces moments de complicité, c'était impossible d'imaginer le vide qu'il laisserait. Il était le prétexte de tes sorties en ville, et le soir, tu le peignais comme une poupée.

Mais tu n'es pas de ceux qui ont un coeur de pierre : devant son regard implorant, ses membres un peu raidis, ses spasmes qui traduisaient tant de douleur, tu t'es dit qu'il fallait lui donner le repos qu'il méritait, ce repos que toi seule pouvais lui accorder.
Donner la mort peut être un cadeau, toi qui étais si charitable, tu le savais.

Et à aucun moment, tu n'as pensé que Dieu t'en voudrait.

Peut-être justement parce que tu sais ce que c'est que de donner, de partager la souffrance des autres, de prendre le risque de faire quelque chose de mal aux yeux de tous. Parce que tu sais que tu soulages les peines d'un être vivant qui se trouve là, avec sa vie entre tes mains, à attendre le salut.

Tu as beaucoup pleuré après l'injection, ton chien encore tiède entre tes bras.
La culpabilité t'alourdissait malgré toi, mais c'est tout de même le sentiment d'avoir fait ce qu'il fallait qui a repris le dessus.
Quel monstre aurait supporté de voir un être vivant se tortiller sous la douleur, perdre la tête par moments, tituber, se traîner, sans prendre un minimum sur soi? Il fallait accepter de laisser donner la mort par ce vétérinaire, une mort douce, comme un endormissement, dans l'affection la plus profonde d'un dernier adieu.

Tu as encore beaucoup pleuré et tu es rentrée seule, sans ton chien que tu avais accompagné jusqu'au bout, avec le coeur lourd pour toi, mais léger pour lui.
Quand tu as raconté cette histoire autour de toi, tes amis, ta famille t'ont félicitée pour ton courage, pour ta bonté, et surtout pour ton humanité.

Humanité. Ce mot revenait toujours. Non, on ne laisse pas souffrir un animal lorsqu'on a les moyens modernes de l'éviter, c'est quand même une évidence, allons. On n'est pas des bêtes. On a un coeur! Dire que certains les laissent crever dans un coin les bras croisés pour éviter le prix de la piqûre! Les monstres.

Serre les dents, Mémé.
Les chiens et les hommes, ce n'est pas pareil. Tout est toujours plus compliqué.

D'abord il y a les politiques, qui n'aiment pas les sujets qui divisent. Cela peut leur faire perdre des voix, et puis, plus le sujet fait débat, plus il faut prendre des décisions courageuses.
Tu sais, c'est comme l'école publique, tout le monde est pour, mais les hommes politiques envoient leurs enfants dans le privé comme tout ceux qui peuvent se la payer. Pour ce que tu demandes c'est pareil, devant des micros ils sont contre, mais pour leur vieille maman ils sont souvent pour.
La politique, c'est la vitrine, pas l'arrière-boutique. Il faut que cela soit joli, que cela plaise à tous. Tu étais commerçante, tu sais bien ce que c'est.

Ensuite, il y a les gens qui jugent, même quand ils ne sont pas concernés.
Ceux qui ont plutôt bon coeur, trop peut-être, et qui restent arc-boutés sur des convictions pures et absolues. La limpidité de leurs principes n'a jamais été troublée par la violence d'une situation bien réelle, par l'écartèlement du coeur devant l'absurdité d'appliquer des règles jusqu'à la cruauté. Une orthodoxie qui touche de plein fouet celui qui souffre, et qui attend de nous d'être délivré du cauchemar dans lequel il se trouve pris.

Il y a bien sûr tous ceux à qui l'on a enseigné en Catéchisme que seul Dieu décide, et qu'il a montré l'exemple avec son calvaire. Les Hommes doivent souffrir comme lui a souffert.
Ils sont donc croyants et pratiquants pour eux, mais aussi pour les autres, ceux qui croient à autre chose de peut être plus simple.
Tu sais bien, les témoins de Jéhovah interdisent les transfusions sanguines jusqu'à leurs enfants, on les critique largement pour cela.
Les gens, devant la détresse de leurs proches, préfèrent se raccrocher à ce qu'on leur a appris, comme la religion qui est faite pour poser des questions et qui malheureusement peut donner de mauvaises réponses.
Ils préfèrent refuser aux autres le droit de se dérober tant que que la vie est encore dans le corps, même si c'est une épave. Car c'est logique pour celui qui applique le Livre à la lettre, on ne doit pas retirer la vie, c'est tout, jamais, même si on agonise, qu'on supplie, qu'on pleure, qu'on s'évanouit devant vous.

Après tout il faut les comprendre, ils pensent qu'il n'y a qu'une vérité, et qu'il ne fait pas changer ce qui existe depuis des siècles. Les femmes ont toujours accouché dans la douleur. Les hommes sont morts dans d'horribles souffrances pendant les guerres. Les enfants ont eu des déformations physiques liées aux maladies et aux disettes.
Mais nous sommes toujours là, alors les choses ne sont pas si mal faites...Pourquoi devrait-on aujourd'hui, au nom de la modernité et du confort, échapper comme des lâches à cette fin de vie, même si elle vient de plus en plus tard et dure de plus en plus longtemps?

Il y a ceux qui craignent des dérives.
Ils ont peut-être peur qu'on les tue un jour, d'ailleurs.

C'est la boite de Pandore. Autoriser à aider à mourir, c'est très proche d'autoriser à tuer.
Il y tant de petits vieux qui n'intéressent plus personne tant qu'ils sont vivants, puisqu'il y a l'héritage après eux tant attendu.
Il y a tant de malades qui sont un fardeau pour l'entourage, qui meurt à petit feu sans le plus petit espoir de rétablissement.
Il y a tant de gestionnaires qui parviendraient à un meilleur planning des lits d'hôpitaux si on pouvait gérer le stock un peu mieux, pas grand chose, deux ou trois jours de visibilité.

Tout ça, c'est moche. Les abus sont possibles, c'est évident.
Alors non, non et non, on n'aidera pas des milliers de personnes chaque année, parce que 2 ou 3 pourraient être poussées par la sortie un peu vite. Question de précaution.
C'est comme les consignes de sécurité. On ferme un site parce que quelqu'un pourrait se fouler la cheville en montant un escalier ancien. Pas de risques, pas d'emmerdes.
C'est bien vu. Tant pis pour tous les autres, pas vrai Mémé?

Et puis il y a ceux qui se posent un cas de conscience. A juste titre. Parce qu'ils essaient de s'imaginer ce qu'ils feraient s'ils avaient le droit de choisir.
Parce qu'ils pensent à une personne aimée, et se disent que s'ils avaient la possibilité de signer une décharge pour que l'abrègement soit déclenché, ce serait un sacré poids sur la conscience. On touche au sacré, au divin peut-être, dans tous les cas à l'humain, à l'image que l'on a de soi aussi. Tu veux faire de moi un criminel, Mémé?
Bien-sûr que tu es d'accord, mais moi, est-ce que je suis d'accord?

Dans tous les cas, je suis d'accord sur une chose.
Qu'on arrête de traîner en justice les médecins ou le personnel soignant qui dans l'ombre, comme la médecine à une époque d'ailleurs, mettent leur vie entre parenthèses quelques minutes pour soulager un être humain, au lieu de s'acharner par bonne conscience ou par protocole sur celui qui n'est plus en état de vivre.
Qui oublient qu'ils ont des enfants, des amis, une maison avec un chien, une carrière devant eux, une belle retraite à vivre tranquillement, et qu'ils pourraient perdre tout cela. Si certaines belles âmes essaient de démontrer qu'il est un assassin, un salaud. Un égocentrique qui se prend pour dieu, et qui trouve dans ces actes la jouissance de la toute-puissance.
C'est qu'on entend de tout, tu sais.

Liberté, égalité, fraternité. Liberté vient en premier.
Tu as raison, Mémé, cela fait longtemps que cela ne veut plus rien dire, que cela est une intention, rien de plus. Tu as connu le droit de vote en 1945, ce n'est déjà pas si mal. Mais pour la liberté de décider de la date de ton départ, il te faudra attendre un peu. Et je crains que tu trouves le temps très long, trop long.

Tu pensais être libre de décider de tout, pas vrai? Tu pensais que garder sa dignité, c'était un droit de bon sens si tu décidais d'éviter les affres des derniers moments qui n'en finissent pas? Moi aussi, à vrai dire, cela me semble tellement naturel.
Tellement logique, de se faire du bien plutôt que du mal.

J'ai parlé avec le personnel, je leur ai expliqué que tu n'en peux plus.
Ils le savent, ils le voient, ils le respirent. Mais c'est délicat.
Moi, je n'y connais rien en médicaments, je ne sais pas quoi te donner pour te soulager vraiment. Tout est sur ordonnance. Et quoi demander?
Internet? J'y ai bien pensé mais les faux-médicaments y pullulent. Je n'ai pas confiance. Il faut que ça marche du premier coup et que cela ne lève pas trop de suspicions. Et puis j'ai peur, moi. Je ne me sens pas capable de faire quoi que ce soit sans le soutien de l'hôpital.
Si je te fais prendre n'importe quoi et que cela ne marche pas, on aura l'air malin.
Et si je suis condamné pour cette tentative, que je vais en prison alors que tu es vivante, nous voilà beaux, qui viendra te voir?

Le personnel est un peu embêté parce que c'est comme partout, les gens ne sont jamais d'accord. Dans une même équipe, certains sont pour, d'autres sont contre.
Il paraît que la nouvelle chef de service ne veut rien entendre, elle ne veut pas saboter sa carrière disent les mauvaises langues. En tout cas, elle ne veut pas d'ennuis, et on la comprend, c'est que l'addition peut être très salée.

Mais l'aide soignante nous trouvera peut-être une solution, j'ai senti qu'elle aimerait bien nous aider. Quand ça?
Pas tout de suite, Mémé, il faut vraiment qu'on soit sûrs que ce n'est pas trop risqué au moment où on le fera, ils demandent des rapports pour éviter qu'il y ait des abus, c'est normal.

Serre les dents, Mémé.
Je sais bien que tu veux partir, et que tu ne comprends pas que ce n'est pas aussi simple.
J'ai l'impression de te trahir, à te regarder comme ça, en faisant oui de la tête, et en sachant que c'est sûrement la douleur qui te délivrera, quand elle montera encore d'un cran.
Je lisais hier la déclaration d'un politique, ou d'un directeur de ne je sais quel organisme qui est contre ce que tu nous demandes, et qui disait: "en 2011, la douleur ne doit plus exister puisqu'on sait de nos jours la traiter." Ce qui rendrait donc le cocktail que tu réclames inutile, voyons.

Donc tu vois, tout va bien, pas besoin de t'accompagner à mourir, tu n'as pas mal, les dossiers de cet éminent Monsieur sont formels.
C'est ainsi qu'est traité ton cas : dans des statistiques et des rapports, je sais, cela ne rassure pas beaucoup.

Je vais te laisser Mémé, j'ai du travail à finir.
Dans le fond, j'aimerais que l'hôpital m'appelle avant demain matin, et me demande d'apporter une jolie robe pour toi.
Je trouverais le lit fait, et la chambre vide. Je serais triste, mais je me dirais que tu es plus heureuse où tu es.

Enfin, ne te fais pas trop d'illusions quand même.
Je crois que je devrais encore te regarder longtemps tordre tes draps d'angoisse et supporter tous ces soins de plus en plus nombreux. Moi, comme d'habitude, je réfléchirai, alors que je te regarde dormir, à comment nous pouvons avoir si peu de coeur pour les nôtres dans des situations pareilles.

Tu sera morte depuis longtemps quand cela changera, Mémé, mais tu sais, les choses bougent.
Parce que quand tout le monde veut que cela change, cela finit bien par changer.


En attendant, moi qui ne signe jamais rien, j'ai signé là :
http://www.mesopinions.com/Soutien-au-Docteur-Nicolas-Bonnemaison-petition-petitions-f0cd24b88fe3a26243984687a5c0dbb9.html

lundi 15 août 2011

Mime Marceau au resto






Vous connaissez sans doute le rituel impeccable du service d'un grand restaurant qui se respecte.

Je parle de petits détails qui les uns après les autres, façonnent de leurs petites mains laborieuses les étoiles d'un établissement, ou simplement, son excellente réputation.

Et quels détails. Des petites compositions à découvrir en apéritif aux mignardises accompagnant un café équitable, tout a été parfait.
Sourire poli et traque d'une serviette qui tomberait à vos pieds compris.
Service irréprochable, donc.

Mais il est une étape dans ce rituel magnifique qui m'interpelle toujours... Et qui m'arrache un sourire amusé à chaque fois.

C'est un moment spécial et crucial, où j'attends l'incident comme lorsqu'un trapéziste saisit au vol, et dans le vide glaçant, sa partenaire qui arrive d'un autre trapèze. Avec le risque tenace que ses mains glissent, et qu'il la laisse chuter (et s'écraser sur le clown).
Ce moment tout particulier pour moi, ce petit moment d'interrogation, c'est le moment des miettes.

Ah, les miettes.
Avant le dessert, il y a toujours un habile artisan du service qui vient délicatement passer sur la nappe (en tissu, forcément) un horrible instrument en argent, façon moissonneuse batteuse à gros manche. Ou un rectangle de plastique avec deux gros bigoudis à l'intérieur, qui rappelle des lectures anciennes du catalogue de la Blanche Porte, qui fait l'inventaire des gadgets domestiques inutiles et surtout, archi-spécifiques (poêles pour gauchers, ôte-bottes sans se baisser, main mécanique en plastique pour caresser son chat à plus de 3 mètres de distance, etc).

Si le dit établissement est plus moderne et minimaliste, on aura la chance de voir en action une sorte de peigne en inox sans dents, qui rappelle un coupe chou à la lame visiblement inoffensive.

Dans un silence religieux où chacun retient son souffle (et retire ses coudes de la table en regardant au loin devant soi, l'air inspiré), voilà donc notre petit chasse-miettes en action sous nos yeux déjà vitreux, si bien entendu vous avez pris le mariage mets et vins, qui attaque le cerveau le plus limpide. Blanc sur rouge, rien ne bouge, mais rouge sur blanc sur rouge ou l'inverse, tout fout vraiment le camp, c'est prouvé.

Jusque là me direz-vous, rien de choquant, tout est normal, pas de quoi en faire un post. On nous lâcherait trois hamsters dressés pour ça, qui grignoteraient furieusement les miettes sous nos yeux, ce serait quand même autrement plus spectaculaire visuel et original, d'ailleurs, je crois que ce serait une formule à tester.

Après tout ... On loue bien maintenant des brebis pour tondre un terrain où l'herbe a poussé en abondance, alors le coup du trio de hamsters ramasse-miettes dans un restaurant Bio, moi je dis, c'est faisable, et les gens ne viendraient que pour ça, au final. C'est un concept.

Pour revenir au coeur de ce qui me préoccupe, je dirais que l'art de retirer les miettes a besoin d'un support, à savoir, les miettes. Sinon, ce geste pourrait devenir un peu absurde, et dans tous les cas superflu. Non?
Si, car j'ai ressenti à maintes reprises la vacuité de ce geste qui, sans son objet de vocation, sans sa raison d'être, se retrouve vidé de son sens.

Car il faut que je vous dise : je ne mange jamais de pain, voilà, sauf au petit déjeuner.
Donc au déjeuner ou au dîner, hop, pas de miettes.
Ma place est toujours vierge de ces petits éclats de croûte, et sauf projection d'un petit pois, ou d'un cerneau de noix hors de mon assiette, il n'y a rien. Le vide total. Opération surface nette, totalement hostile au passage d'un ramasse-miettes.
Aussi ubuesque que chercher à peigner un chauve.


Mais le service et ses lois immuables sont un peu comme un programme informatique.
Une tâche doit découler de la précédente, toujours, et si l'on retire quelques instructions, c'est le bug assuré (surtout si c'est sous Windows). La machine ne sait plus où elle en est.

C'est certainement pour cela qu'avant de me servir mon dessert, chaque officier du bon repas gratte consciencieusement, sous mes yeux ébahis, des miettes imaginaires.
La tête penchée, attentif, l'oeil prêt à débusquer la plus dissimulée des plus petites miettes, il rase ma portion de table ronde comme un barbier méticuleux à la recherche du poil récalcitrant.

C'est ainsi que l'opération ramasse-miettes se transforme en hommage à la miette inconnue.

Comme l'interdiction de couper sa salade rend hommage aux couverts en argent oxydables, maintenant disparus (ou rangés et sous clé).
Et comme la recommandation de tenir la porte à une dame rend hommage au temps où elles avaient besoin de nous.
Un hommage aux époques révolues, en somme. La France, Monsieur.


Un jour, je demanderai à un grand maître du savoir vivre (Ducasse, Hermine de Clairmont-Tonnerre, la Baronne de Rothschild, Jean Pierre Coffe...) ce qu'il pense de ce cas particulier, qui doit donner des sueurs froides aux jeunes maîtres d'hôtels qui ont encore le manuel imprimé sur la joue.
Que faire quand il n'y a pas de miettes, hein?

Ah, c'est cruel.
Car comme une chorégraphie perturbée après des heures de répétitions, il faut devant le public trouver une parade pour ne rien laisser transparaître, et enchaîner sur les mouvements suivants comme si de rien n'était.

Cet instant de doute perceptible dans le geste, ce tressaillement gardé pour soi, se termine toujours sur une improvisation remarquable de maîtrise.
Mes miettes sont chassées, et même souvent ramassées par un petit geste de collecte de la main, comme si elles avaient vraiment existé, et comme si elles résistaient même par principe à s'arracher de chaque fibre de la nappe. C'est le pain de campagne, ça.

Chapeau l'artiste. Du beau travail.
Le mime Marceau n'aurait pas fait mieux.

samedi 13 août 2011

La saloperie de petite voix




"Tu es nul"
"Tu es trop gros"
"Tu t'es encore levé trop tard, abruti".

Je ne sais pas vous, mais moi, j'ai une saloperie de petite voix qui se permet de prendre la parole un peu tout le temps, d'avoir un avis sur tout, de la ramener quand on ne lui demande rien, et même de recouvrir d'autres voix qui voudraient être constructives.

Il parait que cette petite voix est instillée pendant l'enfance, dans notre cortex encore tendre et vierge, par des parents un peu enclins à la critique pour notre bien.
Une petite éponge juvénile dans un tiroir du crâne attirerait donc les premières années des réflexions entendues souvent, pour le moins peu valorisantes, afin de les transformer en un kit maudit : celui des phrases automatiques et récurrentes qui tuent le moral, un kit qui nous murmure de vilaines choses à l'oreille une fois l'âge adulte atteint.

Il paraît qu'il est difficile de la virer, la petite voix. Un peu comme un locataire de mauvaise foi en France, pour ceux qui connaissent. Le droit est pour elle, et elle le sait. Donc il faut faire avec. En attendant de la déloger.

Alors que cette petite voix insidieuse sait se faire entendre dans le silence de notre pensée, d'autres petites voix se taisent car elle était là la première, elle sait se faire respecter en plus. Et cela peut durer toute une vie.

Mais certains ghostbusters de la petite voix s'accordent à dire qu'il est parfaitement possible de balancer à cette langue de vipère une autre voix dans les pattes, histoire de diviser pour mieux régner. Etonnant, non?

En effet, les spécialistes s'accordent à dire qu'il n'y a pas mieux que l'autosuggestion. Mais pas n'importe laquelle. L'autosuggestion à voix haute, s'il vous plaît. La confiance en soi doit être reconstruite par ce qui a pu la détruire : les mots qui sont rentrés par les oreilles, année après année, phrase après phrase, répétition après répétition.

Il semblerait donc que s'écouter dire plusieurs fois "Je suis en train de réussir ce que je voulais", "Ce job est pour moi, il m'attend", "Je vais être augmenté parce que je vais le demander et parce que je le mérite", et autres "Je me sens vraiment bien ces temps-ci" soit une arme redoutable pour clouer le bec à ce petit bruit de fond qu'on aimerait bien écraser d'un coup de battoir à cinq doigts.

Mieux, il paraît qu'on pourrait installer plusieurs voix dans notre tête, un peu comme des référents, des gens que l'on copie parce qu'ils nous ont inspiré. Dans chaque endroit de faiblesse de notre cerveau, on mettrait un petit cerbère qui empêche l'ennemi de progresser en nous prêtant main forte selon sa spécialité.

Par exemple la voix de Bernard Tapie pourrait nous aider à négocier notre prêt immobilier, si on s'imagine au moment de prendre la parole devant notre conseiller BNP, le grand Bernard en pleine négo. "Allez quoi, on va pas s'arrêter-là, ce taux là c'était pour nous faire pousser les crocs non?"

On peut aussi utiliser la voix de Ségolène Royal, connue pour pour son talent à dire qu'elle l'avait déjà dit il y a cinq ans mais que personne ne l'a écoutée. Et s'en servir en réunion de service, pour déclarer les yeux dans les yeux que vous aviez prévenu il y a longtemps que tout le monde s'y prenait mal, mais que maintenant, c'est trop tard (cela marche avec tous les problèmes). Prendre un air dégoûté à la fin, c'est important.

Vous pouvez aussi ancrer en vous un moment qui vous a marqué, qui a entraîné chez vous un sentiment de fierté, de honte, ou de colère, comme par exemple le moment où vous avez dû aller vendre des poêles Tefal en supermarché pour gagner 400 francs par jour, une fortune à l'époque, et que les gens vous regardaient avec mépris comme le dernier des bonimenteurs. Cela booste vraiment lorsque vous vous demandez ce que vous faites dans un bureau, par exemple. Instantanément, la voix du moment en question vous a donné votre réponse.


Oui, il faudrait donc créer de la place pour le plus de voix possibles, des bonnes de préférence, pour cerner la saloperie de petite voix et lui mettre la pression de la concurrence. Sa prise de parole s'en verrait immédiatement diminuée, et il y a fort à parier qu'elle aurait de plus en plus d'hésitations à s'exprimer si elle se sent un peu isolée, toute grise, toute étriquée, toute moche.

Bref. Sans être partisan de la loi de la jungle, avouons qu'ici, c'est une nouvelle gouvernance qui vaut la peine d'être tentée. Chère petite voix, gare à tes miches.

mardi 2 août 2011

Au ras des pâquerettes


Connaissez-vous l'origine du mot pique-nique?
Moi non plus, je me demandais un peu d'où venait ce nom encore 30 secondes avant d'écrire cette petite bafouille.

Il n'a rien à voir avec ce que vous croyez. Ah, mais.

Visiblement il serait né au 17e siècle, quand des gens branchés de l'époque ont (re)mis au goût du jour le plaisir d'amener son manger et son boire pour le déguster non pas seul, mais accompagné d'autres personnes qui font de même, le tout en plein air.
Pique viendrait de piquer, picorer, et nique signifierait petits trucs de rien du tout. Bref, on va picorer des petites choses, oh, tout simple, dans l'air léger qui circule hors des murs, sur l'herbe verte ou sur l'aire d'autoroute.

Il est étonnant de voir d'ailleurs à quel point il existe, comme pour le restaurant, les bijoux ou la voiture, une gamme variée de pique-niques correspondant précisément aux moyens et au standing de chacun. On pourrait croire que cette fantaisie campagnarde remet la pyramide sociale à plat, mais pas du tout.

Je ne parle même pas de la typologie assez révélatrice qui se dessine nettement dans la grande famille des pique-niqueurs : les pragmatiques sortent la glacière, les élégants mettent une nappe, les snobs amènent une malle Hermès, et les sagouins en profitent pour sucer bruyamment leurs doigts plein de mayonnaise.

Non, ce qui me surprend toujours, c'est de voir que décidément le niveau économique et culturel colle à la peau, même sans couverts et sans table, avec simplement ce que le panier de pique-nique trouve à nous dire rien qu'en le regardant.
Selon la conception que chacun se fait de ce moment d'affranchissement des convenances et de l'éducation.

Tables et chaises de camping pour ceux qui recherchent le plaisir de prendre un repas à l'extérieur, mais selon un mode le plus rapproché possible de leurs repas habituels, avec vrai couteau et fourchette.

Nappe, bougies, foie gras, coupe de champagne à planter (si si) pour ceux qui recherchent d'autres niveaux de raffinement à même le sol, pour peu qu'on soit sur le champ de Mars sous la lumière de la Tour Eiffel et à la nuit tombée.

Chips, gâteaux, coca-cola, sucreries diverses posés en vrac sur le sol, pour fêter cette rupture avec les repas policés et équilibrés, en absorbant le plus grand nombre d'ersatz industriels.

Menu Géant Mac-Do sur la plage ou sur un parking, avec de préférence une amnésie totale entre le moment de ranger son bazar et celui de passer devant une poubelle, de toute façon la mairie est là pour nettoyer, et j'ai pas pique-niqué, d'abord.

Panier de grand mère avec des petits plats froids et pratiques à manger, préparés avec amour depuis 9 heures du matin, avec l'incontournable bonne bouteille de Bordeaux qu'on ouvrira avec un Laguiole muni d'un tire-bouchon.

Version pauvre et heureuse avec un sac Huit à Huit contenant tous les ingrédients pour de copieux sandwichs jambon-beurre, avec babybels et barquettes de Lu, et des bières fraîches.

Version décalée et urbaine avec des enfants en serre-tête qui grimacent dans un parc de la capitale, dès qu'une fourmi grimpe sur leur plaid immaculé, ou qu'un pigeon borgne avec deux moignons de patte s'aventure vers leur très british pain de mie coupé en triangle.

Version cliché avec la nappe à carreaux, la tartine de rillettes, le camembert qui ne demande qu'à fuser et le litron de Petites Récoltes de Nicolas, avec une capsule qui se dévisse.

Version romantique avec le repas qui s'éternise, les confessions qui s'échangent entre deux bouchées de tarte aux framboises, et puis la petite sieste l'un contre l'autre avec le soleil qui tape un peu, comme le vin frais qu'on s'est discrètement sifflé.

Ou tentative de pique-nique. Il suffit de choisir le mauvais endroit et le mauvais moment pour être la cible de briseurs de pique-nique, qui commencent à demander un verre puis s'assoient tout près en vociférant, histoire de tuer l'ambiance, et finissent par avoir gain de cause quand les picoreurs lèvent le camp, vaincus.


Bref, aujourd'hui, j'ai redécouvert ce plaisir simple, dans la version qui me ressemble, forcément.
Celle qui permet d'éviter un resto de touristes où la chaise en plastique aurait laissé des traces sur les cuisses en short.
Celle qui permet de manger très exactement à l'heure qu'on veut, sans attente et sans addition.
Celle qui consiste tout simplement à sortir un repas froid du sac, et à étaler les victuailles au sol, comme un butin qu'on partage, à l'ombre des arbres. Cela a d'ailleurs son petit côté sapin de Noël, à l'heure où chacun amène ses cadeaux, créant une petite montagne de paquets colorés et tentants.


Oui, un plaisir simple très facile à s'offrir et à offrir. Même avec la douleur de postérieur inévitable lorsqu'on est assis sur une souche, ou une marche d'escalier de sentier.

Un beau moment bucolique qui permet de partager trop fois rien, en profitant de presque tout : les saveurs des petites choses dans leur papier aluminium qui crisse, la brièveté des conversations qui vont juste à l'essentiel, et la fraîcheur apaisante d'une petite brise qui fait onduler les serviettes en papier.

dimanche 31 juillet 2011

La bourse ou la vie





Aujourd'hui, j'ai acheté du Véolia.
Pas Véolia, du Véolia.

Je n'y connais rien en bourse, mais j'ai quand même pris l'option à 2 euros de ma banque qui me permet de passer des ordres par internet 24h sur 24h, tous les jours, tout seul.

Cette possibilité donne un P majuscule à mon Patrimoine, et me dote d'outils ultra-sophistiqués pour transformer qui sait le plomb d'une action faiblarde en or, le temps d'une nuit ou deux. Cela fait toujours plaisir, je trouve.
Et puis c'est amusant comme un pari en ligne, mais en plus sérieux, du moins en apparence.

Je ne m'en sers pas souvent, de mon option à 2 euros. Je l'oublie toujours.
Peut-être parce que j'avais plutôt l'habitude de jouer au loto lors de grosses cagnottes quand l'envie me prend de devenir riche sans rien faire.

Mais là, la bourse, c'est une autre formule de hasard, plus élitiste, plus hypocrite aussi. On fait semblant d'ignorer que le cours de l'action est corrélé à une réalité, celle de vrais gens qui retournent au bureau le lundi matin.
Non pas que c'est logique la bourse, loin de moi cette folle idée, mais disons que quand le cours chute, je sais que certains disent bonjour plus fort en croisant le DRH dans les couloirs, question de réflexe.

Mais bon cela ne me regarde pas. Enfin, je crois.
Car on ne parle pas souvent de tout ça, alors on oublie.

Reconnaissons au moins que c'est un jeu parfait pour avoir une bonne raison de lire les pages noircies de cours et d'indices de fin de journal dans l'avion. Avant de peler ses patates dessus.
Toujours ça de pris pour se tenir un peu au courant.

La dernière fois que j'ai passé un ordre d'achat, c'était pour Danone. L'aventure a bien dû me rapporter dans les 50 euros en quelques mois, oui, je sais, cela fait des envieux.
Ma méthode? Professionnelle et documentée bien sûr.
Je me suis dit : "Tiens, Danone! Je vais mettre 46 euros, pour voir si je l'achète". Même si je déteste leur pub pour Bio, un peu trop laxative.

Et j'ai cliqué sur valider. Ca a marché.
Voilà le travail.

Aujourd'hui donc, j'avais envie de m'acheter un truc.
C'est dimanche et tout est fermé, même la boulangerie en bas de chez moi. Alors pourquoi pas quelques actions, enfin, si elles restent assez basses pour me donner l'impression de faire une affaire.

C'est comme dans les magasins, il y a trop de choix et on ne sait pas trop quoi prendre, sachant qu'en plus on n'en a pas besoin. En quête d'inspiration, je me suis mis à regarder les cours, j'ai épluché le menu du CAC40, qui comme son nom l'indique ne m'en garde que 40, c'est un bon chiffre.

Il faut dire que sinon, sans cette sélection, on ne voit pas très clairement quels sont les plus beaux gadins de la semaine. Sinon Boursorama affiche par défaut les actions par ordre alphabétique, et au bout de la 15e lettre, on a oublié qui est en train de couler vraiment.

J'ai donc consciencieusement recherché le nom des blessés par cette semaine maudite de bourse dans les chaussettes.
Un investisseur avisé ramasse les morts, c'est bien connu.

Et paf, je tombe sur Véolia. La cible idéale. Véolia fait du gaz, de l'eau, d'autres choses que j'ignore et qui m'intéressent peu.
Mais surtout Véolia s'est vautrée dans les escaliers du Palais Brogniart, et geignait vendredi encore à 15,805 euros par petite action cabossée. C'est donc la championne de la gueule en biais, le KO menace, avec -9,50% perdus en une journée, et -30% depuis début janvier.
La pauvre. C'est vraiment dégueulasse, la bourse.

J'ai donc passé mon ordre en un clic, dans le molleton de ma chaise de rapiat, en me disant que j'achète une part infime d'une entreprise faite par des gens qui dépendent d'actionnaires comme moi, complètement ignorants, quand ils ne sont pas mal intentionnés.

Je repense à Clarins qui a décrété, quelques temps après son entrée en bourse, vouloir racheter une par une ses actions à tous ces opportunistes irresponsables dont je fais partie.
Eh oui, courageux. Parce que ses dirigeants avaient saisi qu'aucun projet sérieux à long terme ne verrait le jour avec une assemblée criarde qui tape de la fourchette sur la table en criant "ça vient ce pognon, oui?".

Que sans une personne sensée pour penser l'avenir du groupe sous le signe du progrès et non de l'équarrissage, les petits mains qui jouent la symphonie de la boite allaient se prendre des tomates même si la musique est belle, pour peu que les répétitions soient trop longues et coûteuses. Il faut du son tout de suite, n'importe lequel, et très cher.
Clarins a dit stop. D'autres suivront peut-être.

Voilà donc ce que j'ai finalement pensé en plaçant mon petit ordre minable : acheter en bourse, c'est amusant, cela permet de rêver qu'un joli gain nous tombera du ciel, mais c'est comme mettre une kalachnikov entre les mains d'un enfant de cinq ans. Cela peut faire un carnage, surtout quand tous les enfants de cinq ans font feu en même temps sur l'entreprise, enfin, lorsqu'ils retirent leurs billes en groupé, sous le coup de la peur, quand l'action vacille.
Le personnel est sous les balles. On n'y pense jamais. On devrait.


Alors Véolia, je ne te promets rien mais si je t'achète, j'essaierai de te garder un petit peu, le temps que tu te remettes sur pieds, sans te laisser tomber tout de suite après ta sortie d'hôpital.

J'aimerais qu'un politique lise cette suggestion un jour : n'interdisez pas la bourse. Je ne plaisante pas.
Mais posez quelques conditions. Demandez simplement que ceux qui achètent un petit bout de l'entreprise ne repartent pas tout de suite. Qu'ils restent à bord 5 ans par exemple, pour mériter d'encaisser leurs bénéfices.

Et pour laisser aux entreprises du temps au temps, avec la possibilité de construire des projets intelligents, dans la durée, avec du bon sens.
Sans lâcher de lest pour monter plus haut. Et sans panique.

Sinon ... il faudrait renoncer à sa part du butin si on est parti, puis qu'on est revenu au bon moment.

Histoire de ne pas être le veinard au casino, qui met juste une pièce dans le bandit-manchot et empoche par hasard le jackpot.
Le casino, c'est le jeu, la bourse, c'est la vie.

vendredi 29 juillet 2011

Boule de H

Je viens de vérifier, c'est irrémédiable, elle n'est pas libre.


J'aurais bien aimé accrocher son nom à mon tableau de chasse, mais elle est prise, tant pis pour moi, un autre a été plus rapide.


Dommage, car elle me plaisait beaucoup. Je trouve que son nom était rempli d'évocations, dans une sonorité ronde et rigolote, tout en contraste. Une personnalité à la fois fragile et cruelle, explosive et contrariée, c'était un point de départ intéressant pour une histoire spéciale sous le signe des coups bas et de l'humour.


Mais c'est ainsi, elle ne m'appartiendra jamais, sauf si celui qui a eu les mêmes goûts que moi la laisse tomber, lassé. Et réciproquement.


Car cela arrive parfois, l'oubli d'une date anniversaire, le non renouvellement de son attachement, et c'est la fin : la belle reprend sa liberté, s'offre à d'autres, faisant le bonheur des éconduits qui ne demandent qu'à refaire leur marché auprès des deuxième-main.

Ce serai beau, un engagement d'une vie. Mais heureusement pour moi, avec elle, je sais que j'ai peut-être un jour une deuxième chance qui m'attend.


Enfin, je soupire.


J'aurais bien fait de grandes choses avec elle, son nom m'aurait inspiré pour raconter des histoires qui reflètent avec bonne humeur son air excédé, son esprit tordu et sa misanthropie.

C'est vrai que ce n'est pas une beauté immédiate et facile.


Mais moi j'aime prononcer son nom : "Boule de Haine". On l'imagine déjà s'énerver et se fatiguer pour rien, c'est émouvant.

Boule de Haine, c'est donc le nom que j'aurais aimé ajouter à ma petite collection personnelle.


J'en aurais bien fait une petite pièce de théâtre, une petite chronique de la haine ordinaire, pour plagier le grand Pierre, ou un personnage de nouvelles. Le reflet de son caractère teigneux aurait déroulé des milliers d'histoires étriquées mais profondes comme des fables.


Mais c'est pris, en point fr et en point com.

Quelle déception, moi qui l'aimais déjà.


Tant pis, je t'attendrai, Boule de Haine.

En point fr ou en point com.