mardi 2 août 2011
Au ras des pâquerettes
Connaissez-vous l'origine du mot pique-nique?
Moi non plus, je me demandais un peu d'où venait ce nom encore 30 secondes avant d'écrire cette petite bafouille.
Il n'a rien à voir avec ce que vous croyez. Ah, mais.
Visiblement il serait né au 17e siècle, quand des gens branchés de l'époque ont (re)mis au goût du jour le plaisir d'amener son manger et son boire pour le déguster non pas seul, mais accompagné d'autres personnes qui font de même, le tout en plein air.
Pique viendrait de piquer, picorer, et nique signifierait petits trucs de rien du tout. Bref, on va picorer des petites choses, oh, tout simple, dans l'air léger qui circule hors des murs, sur l'herbe verte ou sur l'aire d'autoroute.
Il est étonnant de voir d'ailleurs à quel point il existe, comme pour le restaurant, les bijoux ou la voiture, une gamme variée de pique-niques correspondant précisément aux moyens et au standing de chacun. On pourrait croire que cette fantaisie campagnarde remet la pyramide sociale à plat, mais pas du tout.
Je ne parle même pas de la typologie assez révélatrice qui se dessine nettement dans la grande famille des pique-niqueurs : les pragmatiques sortent la glacière, les élégants mettent une nappe, les snobs amènent une malle Hermès, et les sagouins en profitent pour sucer bruyamment leurs doigts plein de mayonnaise.
Non, ce qui me surprend toujours, c'est de voir que décidément le niveau économique et culturel colle à la peau, même sans couverts et sans table, avec simplement ce que le panier de pique-nique trouve à nous dire rien qu'en le regardant.
Selon la conception que chacun se fait de ce moment d'affranchissement des convenances et de l'éducation.
Tables et chaises de camping pour ceux qui recherchent le plaisir de prendre un repas à l'extérieur, mais selon un mode le plus rapproché possible de leurs repas habituels, avec vrai couteau et fourchette.
Nappe, bougies, foie gras, coupe de champagne à planter (si si) pour ceux qui recherchent d'autres niveaux de raffinement à même le sol, pour peu qu'on soit sur le champ de Mars sous la lumière de la Tour Eiffel et à la nuit tombée.
Chips, gâteaux, coca-cola, sucreries diverses posés en vrac sur le sol, pour fêter cette rupture avec les repas policés et équilibrés, en absorbant le plus grand nombre d'ersatz industriels.
Menu Géant Mac-Do sur la plage ou sur un parking, avec de préférence une amnésie totale entre le moment de ranger son bazar et celui de passer devant une poubelle, de toute façon la mairie est là pour nettoyer, et j'ai pas pique-niqué, d'abord.
Panier de grand mère avec des petits plats froids et pratiques à manger, préparés avec amour depuis 9 heures du matin, avec l'incontournable bonne bouteille de Bordeaux qu'on ouvrira avec un Laguiole muni d'un tire-bouchon.
Version pauvre et heureuse avec un sac Huit à Huit contenant tous les ingrédients pour de copieux sandwichs jambon-beurre, avec babybels et barquettes de Lu, et des bières fraîches.
Version décalée et urbaine avec des enfants en serre-tête qui grimacent dans un parc de la capitale, dès qu'une fourmi grimpe sur leur plaid immaculé, ou qu'un pigeon borgne avec deux moignons de patte s'aventure vers leur très british pain de mie coupé en triangle.
Version cliché avec la nappe à carreaux, la tartine de rillettes, le camembert qui ne demande qu'à fuser et le litron de Petites Récoltes de Nicolas, avec une capsule qui se dévisse.
Version romantique avec le repas qui s'éternise, les confessions qui s'échangent entre deux bouchées de tarte aux framboises, et puis la petite sieste l'un contre l'autre avec le soleil qui tape un peu, comme le vin frais qu'on s'est discrètement sifflé.
Ou tentative de pique-nique. Il suffit de choisir le mauvais endroit et le mauvais moment pour être la cible de briseurs de pique-nique, qui commencent à demander un verre puis s'assoient tout près en vociférant, histoire de tuer l'ambiance, et finissent par avoir gain de cause quand les picoreurs lèvent le camp, vaincus.
Bref, aujourd'hui, j'ai redécouvert ce plaisir simple, dans la version qui me ressemble, forcément.
Celle qui permet d'éviter un resto de touristes où la chaise en plastique aurait laissé des traces sur les cuisses en short.
Celle qui permet de manger très exactement à l'heure qu'on veut, sans attente et sans addition.
Celle qui consiste tout simplement à sortir un repas froid du sac, et à étaler les victuailles au sol, comme un butin qu'on partage, à l'ombre des arbres. Cela a d'ailleurs son petit côté sapin de Noël, à l'heure où chacun amène ses cadeaux, créant une petite montagne de paquets colorés et tentants.
Oui, un plaisir simple très facile à s'offrir et à offrir. Même avec la douleur de postérieur inévitable lorsqu'on est assis sur une souche, ou une marche d'escalier de sentier.
Un beau moment bucolique qui permet de partager trop fois rien, en profitant de presque tout : les saveurs des petites choses dans leur papier aluminium qui crisse, la brièveté des conversations qui vont juste à l'essentiel, et la fraîcheur apaisante d'une petite brise qui fait onduler les serviettes en papier.
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