lundi 28 mars 2011

En votre aimable règlement


Aujourd'hui, je viens d'émettre ma première facture, comme on dit.

Une vraie fabrication maison, après des années de fiches de paye concoctées par d'autres. C'est moins calculé qu'un salaire, mais tellement satisfaisant d'avoir sa fabrique de factures à soi.
Ma facture, celle qui va rémunérer mes services pour la première fois, la facture d'une boîte qui n'a qu'un seul patron et un seul employé: moi.
Pfiou, c'est qu'on se sent tout p'tit.

Je me foutais jusqu'à présent de la gueule de tous ces commerçants qui exhibent derrière la caisse, à grand renfort de ruban adhésif, leur premier billet-de leur première vente-à leur premier client. Eh bien pour un peu, je mettrais ma première facture sous verre, avec un petit temple improvisé juste en dessous, avec force fruits frais coupés avec amour, encens rose fushia aux bâtons jaunes, et autres bondieuseries pour remercier qui de droit pour ce grand accomplissement.

Au moment de juger du caractère esthétique de ma première facture, qui au sortir de l'imprimante, fleurait bon l'encre de mon ami Hewlett, j'ai donc réalisé que j'allais accéder à une nouvelle forme de majorité financière, tout en mettant fin à la frustrante virginité de mon nouveau compte en banque professionnel.
Ah ah, et d'une! Qui donne envie d'une autre...

Après donc un compteur à zéro qui me faisait même hésiter à aller réclamer mon chéquier auprès de la banquière (elle avait de surcroit eu la bonne idée de retenir le nom de ma petite boite, alors que je désirais follement garder l'anonymat tant que je n'étais pas au moins Smicard), j'allais enfin pouvoir gagner la légitimité respectée du vrai client de banque, celui qui a donc une trésorerie positive.

Mon papier qui vaut de l'or entre les mains, comme Proust avec son muffin, ou comme le méchant critique dans Ratatouille, des souvenirs lointains sont remontés d'un coup à la surface. Un vrai flash-back, émouvant et symbolique.
J'étais très jeune et mon grand-père m'avait donné mon premier billet de banque, le plus petit de la collection mais 5 francs quand même, un vrai de vrai qui vaut 5 pièces de un, et qu'on peut aller claquer en toute frime à la confiserie du coin.

Fraises et bananes Tagada, bouteilles de coca, mini-barquettes de Nutella me tendaient les bras, un vrai jour de tiercé gagnant, version enfant.
J'ai eu la sensation d'avoir un trésor entre les mains. Presque un vide sous les pieds qu'il fallait combler à l'aide de cette fortune.

C'est alors que le monde des adultes m'a rattrapé. Alors que je rêvais de tout ce que j'allais pouvoir faire de ce rectangle magique, mon généreux donateur m'avait dit avec douceur :
"Maintenant, il te faut le mettre à la banque".

Comme quoi, on n'échappe pas à son destin.

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