L'autre jour, dans l'un de mes voyages d'affaires extrêmement importants, je suis tombée sur une interview très intéressante à la télé, dans ma chambre d'hôtel. Assise sur mon king size bed (je vous l'ai dit, c'était un voyage important), le dos bien calé sur mes deux oreillers en plume, la télécommande pointée vers l'écran plasma telle le puissant sabre laser de Luke Skywalker, je cherchais un programme à regarder, afin d'oublier la médiocrité de ma journée (les journées sont souvent médiocres, en voyage d'affaire, ce sera certainement l'objet d'un nouveau post, d'ailleurs, il faut bien que le monde sache, après tout).
Et donc, à la 56ème chaîne, alors que mon index commençait à fatiguer, je restai un moment sur une interview d'un designer dramatiquement chauve sur une chaîne de mode. L'homme en foulard bariolé, perché sur l'ascenseur en verre d'une tour Californienne ou New Yorkaise, que sais-je, déblatérait des banalités dans un anglais approximatif. Pas de doute, il était Français.
Mon sens inné de la critique en ce qui concerne mes semblables s'essayant à une autre langue vivante me poussa donc à l'écouter, même si le monde de la mode arrive sur ma liste de préoccupations en numéro 379, entre l'aromatisation des biscuits anti-boules de poils pour chats et la propagation alarmante de l'E-Coli en Europe.
Cet homme, l'appris-je, était un brillant styliste en chaussures, le chouchou des stars (en effet, les stars aiment bien les chaussures). Il s'extasiait sur le fait que les femmes en Californie n'avaient jamais à marcher - à l'instar de leurs Chihuahuas, d'ailleurs, qui ne touchent jamais le sol - puisque tout le monde roule en voiture. Ses créations grolesques, expliquait-il, ne rencontrent donc aucune limitation, la chaussure étant relayée au rang de pur accessoire de mode, sans aucune obligation de commodité ou d'ergonomie. Un joli bijou pour pied, quoi.
Il raconta ensuite une anecdote amusante : sur le ton de la (fausse) modestie, il confia que Mattel lui avait proposé de créer une Barbie chaussée par ses soins, et la seule condition qu'il avait imposée à la marque avait alors été d'affiner la cheville de la poupée et de recourber sa voûte plantaire pour obtenir une ligne plus élégante. En effet, dit-il “quelle femme voudrait d'une cheville large ? haha ahhhaaa....”. La journaliste, introduisant une note grave dans un reportage au ton jusque-là léger, lui posa la question suivante : “...et que répondriez-vous à ceux qui disent que la mode fait souffrir les femmes ? Ne pensez-vous pas qu'idéaliser le talon haut va provoquer des problèmes de posture dans la colonne vertébrale des jeunes filles de 15 ans ?”.
Et là, le crâne d'oeuf enrubanné répond d'un air agacé : “Pensez-vous réellement que ce qui pousse une femme à acheter des chaussures à talons hauts c'est la mode ? Tssst...Moi je crois que touuuutes les ffffemmes rêvent de talons hauts depuis leur plus tendre enfance, elles rêvent de cette démarche aérienne, de ce jeu de hanches, c'est ce qui les pousse à enfiler les escarpins de leur mère quand elles ont quatre ou cinq ans...”
Et là, des questions ont afflué à mon esprit : est-ce aussi le rêve des petites filles de se faire greffer un bonnet E, de se teindre en blonde et de se faire un lifting tous les trois ans, ou est-ce que Pam, alias C.J. dans Baywatch est passée par là ? Et les petits garçons rêvaient-ils de s'épiler le torse à grands coups de laser quand la mousse du bain de Sean Connery restait collée à sa toison brune dans les premiers 007 ? (tout de même, osez me dire qu'il n'est pas sexy).
Enfin, pendant que ce producteur de cors et d'entorses enfilait lui-même les escarpins de sa mère devant son miroir, n'a-t'il pas pensé que peut-être des petites filles de sa classe au même moment se glissaient dans les godillots de leur père, et trouvaient ça vachement marrant de marcher dans la gadoue avec ?
J'ai enlevé mes Geox et pour me consoler j'ai regardé cette vidéo en boucle, qui laisse penser que si la création n'a pas de limites, le corps, lui en a.
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