vendredi 8 juillet 2011

La Blackberrite


On connait le risque qui obscurcit de son ombre menaçante la vie du travailleur exposé à de pénibles tâches répétitives : la blessure. Avec son effet domino redoutable, l'arrêt de travail, la dépression, la chute de cheveux.

Douleurs aux dos pour les caissières, douleurs au bras pour les pervenches qui manient de l'essuie-glace à longueur de journée, douleurs aux pieds pour les vendeurs de voitures qui font les cent pas dans leur concession.

Et puis autres douleurs pour l'homo oficinus, l'homme de bureau. Il risque l'insolation à la photocopieuse, l'E-coli à la cantine, voire le tétanos avec un trombone un peu rouillé . On sait de plus que la vie professionnelle intramuros (dite en milieu de crevures) regorge de dangers variés et implacables, en plus des classiques accidents potentiels tels que couteaux dans le dos ou lynchage en réunion par sa propre équipe.


Cependant, je n'aurais jamais cru qu'il existe un accident du travail à la fois minuscule et gênant, risible et pourtant bien réel, fourbe, et seniorophobe de surcroit, car menaçant de toute évidence les plus de 40 ans.

Un mal qui consacre les années texto et autres exercices dactylographes à un doigt. Un accident du travail qui vit avec son temps, lui.

Ce mal a foudroyé un ami, par ailleurs specimen très pur des homo oficinus. Stupéfait, j'ai accueilli cette nouvelle comme une blague de premier avril. Qui n'en était pas une.

Il s'agit d'une nouvelle fragilité motrice, minime certes, mais aux piques lancinantes qui frappe les cadres comme les employés, tant que tous ont en commun de n'être ni sportifs, ni bricoleurs.Bref, s'ils possèdent dix doigts parfaitement étrangers à tout travaux manuels, le danger les guette.

J'ai donc revu cet ami à l'occasion d'un dîner. J'ai d'abord crû à une petite tendinite ou foulure en apercevant un attirail nain de rééducation qui tenait droit, et bien à l'abri des quatre autres, son pouce exsangue.
Sa main semblait un peu figée, comme après une poignée de main franche avec David Douillet. Mais c'était autre chose.

"Une Blackberrite!".

C'est ce qu'annonça solennellement l'ami, l'air un peu écoeuré quand même parce qu'il aime bien jouer au golf le week-end.
Une Blackberrite, merde alors.

C'est scientifique, et exposé dans des publications qui font autorité : les jeunes ont un pouce beaucoup plus mobile que les autres (appelés au Japon "oyayubi sedai", c'est à dire la génération des pouces. A ce sujet, bien sûr que je connais ce mot par coeur).

Ce qui veut dire que pour les autres, j'entends ceux qui n'ont pas eu le loisir d'apprendre à tapoter sur un clavier depuis le berceau, ce sera très dur. En représailles, la technique leur réserve des inflammations en "ite" parce que leur morphologie est trop raide pour s'adapter à celle des nouveaux appareils qu'il possède.


Qui l'eut crû? C'est le smartphone qui fait évoluer le corps de l'utilisateur pour atteindre l'harmonie parfaite entre le clavier et la main. Et pas toujours l'inverse (si vous êtes ergonome, il est encore temps de changer de voie).

A méditer donc pour concevoir les outils de demain qui feront les anatomies du XXIIe siècle... avec la folie des écrans partout, il ne faudrait pas qu'un jour, il nous pousse un oeil dans la nuque.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire