Aéroport de Paris, Boeing 747.
Imbriquée dans mon siège 14C comme un gamin attardé dans une poussette, j'attache ma ceinture. “Leïdi's and gentlemen, ze flight will take approximeïtly 11 hours to aoueur final destineïcheun, Shanghai, where ze tempratcheur is 25 degriz.”
Mon corps entier bien plié en angles droits, je pense aux articulations raides des poupées en plastique avec lesquelles je jouais étant petite. On les asseyait parfois dans la voiture de Ken, et on leur attachait bien leur ceinture. Ils partaient souvent en week-end à Las vegas.
Je déplie lentement mon bras gauche pour saisir la revue Air France en prenant garde de ne pas heurter la tête de mon voisin qui s'endort déjà. La couverture annonce “Belgrade, la nouvelle destination tendance”. Le vol va être long.
Quelques pages plus tard, de légers tintements de bouteilles, des bruits de rangement de plateaux et de cliquetis de couverts en métal parviennent à mes oreilles. Une odeur de cantine commence à embaumer l'appareil. Je pense à des spaghetti à la bolognaise, peut-être un boeuf bourguignon ? Ou des lasagnes... Mon estomac communique directement avec mes narines et calcule déjà avec une précision méthodique les sucs correspondant au menu.
Les petites têtes de mes compagnons commencent à s'agiter comme autant de petites billes de flipper, à droite, à gauche, en haut au dessus des sièges, cherchant à apercevoir un chariot, une hôtesse, un plateau. Rien. Une demi heure passe. Plus aucun bruit si ce n'est le doux ronron des réacteurs.
J'ai faim. Mes pieds trépignent en pensant à la petite boîte en métal qui contiendra ma pitance, je l'imagine brûlante, avec un peu de crème béchamel collée au couvercle que j'oterai avec précaution. Mes doigts pianottent nerveusement sur ma tablette dépliée.
D'un geste sec, l'hôtesse ouvre finalement le rideau bleu marine de la cabine, comme on ouvrirait un rideau pour commencer une pièce de théatre. Elle passe lentement dans les rangées, les petites billes de flipper jouent à cache cache avec le chariot pour vérifier la distance qui les sépare encore de leur repas.
Enfin il est là. Posé sur ma tablette. Le plateau tant attendu. Trente centimètres carrés de pur bonheur. Une explosion de joie pour les yeux, pour les papilles et pour les mains qui vont pouvoir désemballer, déplier, replier, déchirer, désemboîter, soulever, râcler, découper.
Au sol le plateau repas serait infâme. Ici il est attendu comme le Messie.
En l'air, les pommes de terre vapeur se marient à merveille avec le boeuf bourguignon, les arômes du vin de pays de l'Aude relèvent avec audace ceux du camembert en portion, et ces quatre raisins que je pique du bout de ma fourchette ont un goût de paradis. La part de clafoutis sous son cellophane représente la fin de ce moment, de mon moment, c'est pourquoi j'attendrai encore un peu avant de la découvrir. Puis je rangerai les petits récipients en plastique pour qu'ils rentrent tous bien sur le plateau.
Oui, s'il vous plait, je prendrai du café...oui, je vous fais passer mon plateau...oui, je prendrai un autre verre d'eau, même deux..ou même un Bailey's...mais je vous en prie, ne partez pas. Ne me laissez pas là, ligotée sur mon siège 14C.
Revenez...
Le chariot s'éloigne, le rideau bleu marine se ferme...Elles sont parties, la pièce est finie. Les lumières de la cabine s'éteignent, seuls les écrans qui indiquent le temps de vol restant restent allumés.
Mon sachet de moutarde de Dijon est resté sur la tablette.
Tiens, il a été fabriqué le 27/04/2001 à 18:07.
Ça va être long...
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