Yoga, thérapies diverses, massages, vélo, alcool, shopping compulsif, tout y passe.
Il faut bien se passer les nerfs de la journée sur quelque chose, l'asticotage a ses limites.
Les projets n'avancent pas? Tout va mal au bureau? A la maison? Elle est partie? Elle est restée? La journée est plombée?
Et si vous coupiez des légumes?
Bon, a priori dit comme ça, cela tombe un peu à plat.
Tant que ce n'est pas un résultat de recherche d'un bataillon de chercheurs de Harvard, avec des statistiques à l'appui sur un échantillon non représentatif certes mais quand même, personne ne me prendra au sérieux, je sais.
Et pourtant.
Je revendique le pouvoir immédiat et subliminal, charnel même, du tranchage de légumes sur la tension artérielle et sur la santé nerveuse en règle générale.
Trancher des légumes, ça calme tout de suite.
Très similaire à l'effet bénéfique et pourtant extérieur aux problèmes des chiens et chats sur les pensionnaires des maisons de retraite : ces derniers abaissent en deux caresses sur la bête leur niveau d'angoisse, mieux que le Xanax et c'est remboursé par la SPA.
Mais là, pas de caresses, bien au contraire, on décanille du légume, on évicère, on lamine, on réduit, on pulvérise.
L'idéal en cas de grosse fatigue, voire de pulsions de meurtre : la préparation d'une soupe.
Ca occupe un moment.
Pour éviter la bavure au supermarché dans le pesage fastidieux de cinq ou six variétés, socialement à risque en cas de ruée et d'impatiences, opter pour un package déjà fait, oignon compris, et filer à la caisse sans renâcler, même si on vous passe devant. Pensez à l'objectif. Vous détendre.
Après, une fois rentré chez vous, vous pouvez sortir un grand couteau de cuisine et une planche à découper, répéter mentalement un tombereau d'injures qui n'engagent que vous, et sortir de leur petit caisson vos victimes. Pelez furieusement ce qui ne demande que ça, déshabillez ce qui le mérite, lavez tout le reste, je veux dire, noyez moi tout ça, et pas de quartier.
Et puis charcutez moi tout ça. En maudisant le monde entier, généralement.
Aux premiers craquements de la carotte, vous vous sentez mieux. Sentir les choses céder sous sa main, ça redonne de la délicatesse, de l'à-propos. On dose son effort. le geste s'adoucit naturellement.
La couleur orangée est lumineuse et fraîche, c'est de bon augure.
L'oignon, lamelle après lamelle, chasse vos grises pensées, et éventuellement vous fait renifler. C'est le moment de vous lâcher si vous avez une grosse envie de sangloter, après tout c'est sans témoins et c'est les oignons, un peu.
Un navet qui se détaille sans résister dans un parfum de radis, des petits morceaux bien réguliers qui flattent l'oeil et la géométrie, une eau avec votre Maggi boeuf dedans qui vous fait une bonne vapeur pour la peau ou les lunettes, et les tensions de cette journée pourrie sont presque derrière vous.
Encore un peu de poireau ou de cèleri pour le moelleux de la chair de l'un, et le petit sifflement de l'incision dans le corps dur de l'autre. Une patate pour trouver des morceaux fondants au fond de l'assiette quand vous dégusterez votre soupe qui vous a bien défoulé.
Sel qui crise entre les doigts pour relever le tout, gousse d'ail en minuscules morceaux parce que ce soir vous êtes seul et bien décidé à le rester, poivre en quantité pour s'arracher la gueule et justifier un bon coup de rouge bien brutal qui remettra les idées en place.
Les doigts parfumés de cette odeur fade et maternelle à la fois, vous laisserez votre cuisine ruisseler sous les gros bouillons de la casserole en attendant de remplir votre gamelle de résistant.
Vous avez eu le dessus sur votre jour pourri, ou presque.
Période de fond de mine oblige, vous avez oublié d'acheter du pain pour faire de grosses tranches à caler au fond de l'assiette.
Allez. Cette soupe, elle sera bonne, même sur du pain rassis.