samedi 28 mai 2011
Cher ami qui ne jure que par le Bio,
Hier j'ai essayé, moi aussi, de me convertir à cette nouvelle religion que le bobo, le naïf et le sceptique embrassent tous les jours sans cérémonie, mais avec beaucoup de foi, quand il ne s'agit pas d'une simple soumission à l'idéologie dominante.
J'avais repéré une boutique de vente directe, à la croisée des cageots de producteurs de la terre inconnus et mordus de nature, dans un petit village introuvable sur google maps, ou presque. Autant dire, une garantie d'authenticité et de virginité marketing.
Cher ami amateur des produits plus chers qui pourrissent vite, qu'on déguste religieusement comme du caviar (mangerais-tu du caviar plus souvent s'il était moins cher? j'en doute), eh bien je te l'assure, tu n'as rien raté.
Et tu as bien fait de ne pas pouvoir m'accompagner, j'aurais eu honte de t'avoir entraîné dans cette galère verte qui sentait un peu l'anachronisme flambant neuf.
Donc me voilà sur le chemin des prés sans pesticides, ni engrais chimiques, ni rien. Enfin, nous y voilà devrais-je dire, car nous étions deux dans cette folle entreprise. Deux pigeons en quête de grain non raffiné, de pâtée pure fibre, de miettes 100% farine complète.
Après 1h de route par l'autoroute (mais d'habitude la maison livre chaque foyer à domicile, en camionnette diesel), nous voilà donc arrivés devant une boutique barrée d'un superbe store de bandes plastiques verticales multicolores, dit "anti-mouches", qui fait la signature des portes de fermes les plus authentiques. Il manquait en revanche l'odeur caractéristique de ce genre d'ambiance, mais il faut s'y résigner, ici, on ne fait pas de marketing et les vaches ne passent plus depuis longtemps par le village. Dont acte.
Minuscule de l'extérieur (on n'est pas des capitalistes rabatteurs avec une vitrine propre, nous), la boutique annonce d'emblée d'une pancarte écrite à la main "s'il n'y a personne, appelez-nous à ce numéro". Car le vendeur bio alternatif est une homme libre, et n'a pas d'horaires, hormis celui de sa cueillette.
On a bien vu le coup qu'on avait fait notre heure de route ou presque pour rien, et que la boutique serait fermée. Horreur. Malheur.
Mais non.
On s'est donc retrouvés face à une gentille dame entre deux âges, burinée, à frange courte (on se dit c'est quoi le signe du néo-rural, ben j'ai au moins trouvé un signe distinctif, c'est l'art de la coiffure unique en son genre, mi-travaillée, mi-rien, comme cette frange trop courte assez perturbante, arborée au début du front par notre commerçante verte).
A l'intérieur, c'est soviétique, cela m'a rappelé des épicerie vues à Prague il y a 20 ans. Eparses, disons. Un éclairage façon bloc opératoire, et un merchandising inspiré des restos du coeur (photo de Coluche en moins).
Mais on n'était pas là pour observer les étalages, non, la mission c'était l'achat de produits Bio vendus du producteur au consommateur, en grillant au passage tous les intermédiaires pour permettre à l'artisan de la terre de vivre dignement de son travail, et d'éviter que le chef de rayon Auchan ne pousse l'agriculteur isolé, et de surcroît célibataire ,au suicide ou même pire : à la vie de bureau au Crédit Agricole, après avoir vendu la terre de ses ancêtres à un supermarché pour l'extension de son parking.
On s'est donc jetés comme après un long jeûne sur les légumes du coin, ternes et clairsemés il faut dire, entre deux produits à l'épeautre importés (comme de jolies pommes du Süd Tiröl), des pâtes italiennes, sans oublier quelques autres curiosités exotiques, cultivées de façon "soutenable", comprendre avec un prix supérieurement intelligent, sinon tu ne m'achèteras pas.
Carottes, tomates, poivrons, pommes, hop la, par ici le fruit de la terre à la sueur d'un front paysan, un vrai! Chouette, un sachet marron en papier, comme sur le marché mais encore plus moche!
Un peu de charcuterie coupée en tranche (sous vide, on est pas des ploucs non plus), histoire de goûter aux délices de cette région de cochons (je veux dire d'éleveurs de cochon).
Et puis, ouf. On a eu la présence d'esprit d'éviter le fromage roulé sous les aisselles du fermier, qui auraient coûté un bras.
Moment fatidique. Les chiffres, après le folklore.
L'addition a pris, sans exagération aucune, 10mn soit 600 secondes environ, montre en main. C'est long, très long, et puis y'a pas la radio maison comme chez Monop'.
Petite note salée élaborée artisanalement, et au stylo, avec pesage sur une vieille balance mécanique posée sur un cageot (offert par la maison, c'est biodégradable donc oui, on peut le prendre).
Et puis paf, verdict : 87 € et des poussières. On n'a pas acheté grand chose car le choix était quand même très réduit. D'accord, on a pris un gros bidon de 5L d'huile d'olive (en cas de panne d'essence sur le trajet retour) et une bouteille de rouquin bio. Du cabernet sauvignon.
Mais quand même.
Non, pas de carte de crédit, ici on préfère le black (je ne suis pas sûre qu'ils aient dit cette dernière phrase).
Ce qui nous a achevé, c'est probablement le chocolat à 3,30€ et les biscuits au sucre bio, dans les mêmes prix.
Bref, le cageot était là, incroyablement anachronique, il était payé, on l'a pris.
Le soir, on a à peu près tout goûté. C'était bon, sauf le chocolat qui sentait le cirage, et l'orange à jus qui ne donnait pas une goutte, la bougresse.
On recommandera par internet, et on paiera en liquide sur le pas de notre porte. Ou peut-être pas.
Cher ami qui ne jure que par le Bio, je veux bien essayer une de tes adresses.
Une autre que celle-ci, qui m'a pris pour une poire.
Une poire de la ville.
lundi 9 mai 2011
J't'offre un kébab ?
Depuis quelques années déjà, les kekabs font fureur. Les arômes d'épices et de viande grillée s'engouffrent dans les naseaux du passant (toujours le nez en l'air sauf à Paris où il vaut mieux faire profil bas en regardant où l'on marche), qui - s'il n'écoutait que son estomac - se laisserait bien tenter par un durüm bien gras.
Hier j'étais avec des amis, et sur le coup des 21 heures, il faisait faim et soif. Après avoir erré un bon moment dans le quartier sans trouver un restaurant ouvert, nos pas et nos narines nous conduisirent vers ce paradis de la malbouffe où les pics à viandes tournicotent comme autant de derviches tourneurs, cette oasis de friture où quelques tables sont placées ça et là pour accueillir l'affamé anonyme qui s'assira sur un coin de chaise en dévorant sa pitance avant de repartir vers des occupations plus respectables.
Nous nous asseyâmes donc, et le maître des lieux dans sa bonhomie naturelle et dans un sourire blanc éclatant digne d'une publicité pour Colgate, nous offrit une bière bien fraîche et prit nos commandes. C'était soirée foot et l'endroit était comble. Soirée beauf, donc, mais beauf sympa : bon esprit, populaire et pas syndicaliste. Au bar se succédaient une ribambelle de couleurs et de destins. Tous les yeux rivés sur l'écran pour ne pas perdre une miette du premier but. Les mets nous fûrent servis dans leur traditionnel papier d'aluminium, brûlants, moelleux, de quoi faire saliver le plus fin des gourmets un soir de frigo vide.
Une pensée traversa mon esprit : et si c'était ça, le vrai mélange des peuples, un kébab servi avec une bière à des dames, une équipe de foot avec des supporters de toutes les couleurs accoudés au bar, des estomacs bien pleins de gras et d'épices d'ailleurs, lavés de sauce au yahourt et de harrissa, rincés d'une bonne rasade de bière allemande, une populasse réunie dans une gargotte au brouhaha rempli d'accents différents où tout le monde se fout bien de la politique et des questions d'identité...
Mais des borborygmes me tirèrent soudain de mes pensées, il fallait vraiment que je rentre.